
Silvère Antoine Olongo a participé au Premier Colloque National sur le Discours de haine et violences au Cameroun : Genèses sociales, formes émergentes et pistes de réponse, organisé à l’Université de Yaoundé 1 (Cameroun) du 10 au 12 mai 2023. Compte rendu.
Pourquoi un colloque sur les discours de haine et la violence au Cameroun ?
Au Cameroun, les discours de haine et les violences gagnent en intensité et se présentent sous plusieurs formes. Les plus visibles sont matérialisées par : des crises sociopolitiques dont la guerre contre la nébuleuse Boko Haram qui connaît une accalmie relative dans la région septentrionale du pays; la question de la crise qui secoue actuellement les deux régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest; l’exacerbation des discours haineux sur les réseaux sociaux numériques; les clivages et affrontements ethno-communautaires en milieux urbains; les violences basées sur le genre et celles faites aux populations marginalisées et vulnérables, etc. L’assassinat dans des conditions particulièrement horribles en février 2023, d’un journaliste camerounais ainsi que, la mise en scène de la découverte de son corps mutilé, a relancé de manière spectaculaire, le débat sur les formes extrêmes de violence dont le corps social camerounais fait l’expérience depuis plus d’une décennie et même au-delà si l’on veut être plus froid.
Ces aspects manifestes et surmédiatisés de ce phénomène, combinés aux nombreuses menaces latentes qui laissent entrevoir une certaine fragilité sociale, donnent d’observer qu’au Cameroun, la violence présente un caractère durablement enraciné. Ces faits saillants qui traversent l’ensemble du pays, portent à croire que l’anomie est devenue une forme obsédante de la « normalité » camerounaise. À partir de ce qui se donne à observer au quotidien, la violence se positionne progressivement comme un constituant de l’identité de la société camerounaise.
Dans la même perspective, les thématiques portant sur la violence occupent une place de choix dans les médias, mais avec une approche plus émotionnelle, univoque et donc davantage subjective que réflexive et analytique. L’ensemble de ces différents éléments laissent penser que les Camerounais consacrent une part importante de leur temps à produire la violence. Prenant des distances avec ces lectures profanes, des analyses rigoureuses ont pourtant été proposées pour comprendre le phénomène de la violence en Afrique qui, même s’il peut être appréhendé comme « endémique », est indissociable de l’archéologie de son émergence au sein de la société camerounaise.

Président du Comité technique d’organisation du Colloque, le 10 Mai 2023
Les réflexions sur la violence et les discours de haine en tant que phénomène social et ses implications montrent, qu’elle est prise en charge par différentes catégories d’acteurs institutionnels et non institutionnels dont : les organisations de la société civile (Osc), les organismes (non) gouvernementaux et d’autres acteurs d’appui au développement intervenant au Cameroun. Dans cette dynamique, plusieurs études ont été réalisées visant à mettre en relation la violence des logiques aussi bien politiques, économiques, culturelles, qu’écologiques. L’objectif étant de trouver des solutions durables de prévention. Dans ce sens, ce phénomène social a été analysé sous le prisme d’une pathologie qui nécessite une prise en charge rapide et holistique, en tant que « fait social total ». Loin des analyses militantes et partisanes, plusieurs chercheurs se sont intéressés à cette question avec des approches différentes.

de Silvère Antoine Olongo , le 11 Mai 2023
Le colloque organisé par le Département de sociologie de l’Université de Yaoundé I, avec l’appui du Laboratoire Camerounais d’Études et de Recherches sur les Sociétés Contemporaines (CERESC), en partenariat avec la Civic Watch Cameroon qui, est une organisation communautaire, dont l’objectif est la mobilisation communautaire pour faire face efficacement aux discours haineux en ligne et hors ligne, s’est fixé pour objectif de discuter, « à nouveau », les discours de haine et de l’émergence sans cesse croissances des violences anciennes et nouvelles, qui traversent la société camerounaise contemporaine. Il portait l’idée selon laquelle les dynamiques sociales contemporaines qui traversent ce pays depuis quelques années, dont les principales matrices sont la modernité politique diversement appréciée, la néo-libéralisation continue de la sphère sociétale, la digitalisation ou la numérisation croissante de la vie sociale, les mutations des ordres sociaux et familiaux, la fragilisation du lien social, l’exacerbation des tensions ethno-communautaires, la déshumanisation, la marginalisation des minorités, etc. Toutes ces violences latentes et bien d’autres sournoises, imposaient de renouveler le regard sur les discours de haine et les violences et, d’en dégager les facteurs structurants tout en analysant leurs multiples facettes.
Quelle place pour les violences faites aux Minorités Sexuelles et de Genre lors de ce colloque ?
De mémoire, ce colloque sort des sentiers battus dans la mesure où, dans l’axe 3 intitulé : Violences verbales et stigmatisations sociales, il se laissait transparaître la possibilité et l’occasion idoine d’aborder la problématique ô combien délicate, des violences faites aux Minorités Sexuelles et de Genre en contexte camerounais. C’est sur cet axe «flexible», que nous avons orienté notre communication.
Entièrement adossée ou presque, sur nos travaux de recherche doctorale à la FUTP de Bruxelles, notre communication pendant ce gala scientifique portait sur : « VIH, minorités sexuelles et de Genre et, Droits humains en contexte camerounais. Analyse socio-anthropologique ». D’emblée, nous nous entourions de la précaution selon laquelle, un tel sujet est à domicilier dans le registre des sujets orphelins, c’est-à-dire, les sujets dont personne ne veut assumer la paternité. Les termes clés de ce sujet sont sujets à polémique dans la mesure où ils renvoient à plusieurs significations. Le sujet ainsi articulé a convié à une réflexion sur le rapport de causalité qui existe entre le statut de minorités sexuelles et de genre et l’accès aux facilités de toute sorte quant à l’infection du VIH. Rapport de causalité qui s’est articulé pendant notre communication, autour des grands moments ci-après : (i) la réalité des MSG au Cameroun, (ii) leur rapport au VIH-Sida, (iii) la conception de l’humanité, (iv) l’illustration de la stigmatisation et de la discrimination en rapport au VIH-Sida des MSG au Cameroun et, (v) l’intelligence socio-anthropologique du sens de la violence des MSG en rapport avec le VIH.
Que retenir de ce colloque ?

Au terme de ce colloque, il ressort que le discours de haine est une réalité aussi vieille que le monde. Il trouve son ancrage ontologique et épistémologique dans les différentes cultures, et se construit sur une tension mimétique reposant sur la gouvernance des ressources foncières et la gestion des ressources politiques et économiques. La discrimination, la stigmatisation, la marginalisation des groupes/communautés sociaux vulnérables, la diffusion de l’idéologie dominante du système monde et le sentiment d’exclusion, sont au fondement de l’enracinement de la violence et des discours de haine, que la révolution 2.0 ne fait qu’accentuer. Si rien n’est fait, les violences de toutes formes et les discours de haine pourraient dans un avenir proche plonger le Cameroun dans une situation sociopolitique et économique indésirable.