Axe 6
Transmission religieuse et participation
des femmes à l’autorité religieuse

Les femmes afropéennes expérimentent un cumul de situations sociales et privées croisant à la fois le genre, les univers culturels, l’appartenance religieuse et la double ascendance (génétique et/ou culturelle) africaine et européenne.  Située entre deux univers symboliques dont elle est supposée accueillir et transmettre les référentiels culturels et religieux, l’afropéenne négocie entre contrainte et subversion, tradition et innovation, sujétion et émancipation.

À quelles formes de participation et de leadership religieux les femmes afropéennes ont-elles accès ? Quelles sont les possibilités d’une autonomie sociale et religieuse au regard de traditions patriarcales ou matriarcales prégnantes ? Quelle place leur est accordée dans l’espace public les autorisant à habiter leur différence d’afropéennes croyantes engagées dans une transmission à la fois fidèle et porteuse d’ouverture et de dépassement d’une histoire confisquée ? 

Les interventions

« De la notion de « place » au sujet de la femme dans l’Eglise : L’herméneutique d’un espace à occuper ou à créer » (extrait)
Christiane BAKA,
philosophe, Doyenne de la Faculté de philosophie de l’UCAO – Abidjan

Le terme de « place » mais surtout ce qu’il induit comme catégorie différentielle est fréquemment utilisé pour réfléchir aux questions de l’être et le rôle de la femme tant dans la société, la famille, sur le terrain de l’emploi que dans l’Eglise, comme le montre le thème de notre communication. Celle-ci n’envisage pas de reposer à nouveau frais la question sans cesse reprise de la place de la femme dans l’Eglise. Comme si cette place n’était pas suffisamment visible, les discours de l’Eglise n’ont de cesse de l’indiquer ! Or c’est précisément ces discours reçus « de haut » (de Dieu ou de l’Eglise) qu’il nous importe ici de décrypter. La première question à se poser est celle de savoir si « la place » de la femme est à « prendre », ou tout simplement à en « user ». La nuance entre ces deux verbes s’entend ainsi : les femmes doivent-elles se chercher dans l’Eglise une place qui n’existerait pas ou presque, — ce qui nécessiterait de leur part de l’inventivité — ou au contraire ont-elles tout simplement à « occuper » un espace prévu pour elles depuis toujours ? C’est dans l’articulation de « l’occuper » et du « prendre », en ce qu’ils infèrent d’un côté le consentement à une mission reçue et de l’autre l’exigence à se frayer un chemin, que nous envisageons de réfléchir à la mission des religieuses dans la société et dans l’Eglise.

« Transmission et déconstruction religieuse : femme afropéenne entre héritage chrétien colonial, tradition ancestrale, et société moderne »
Wendy “KIRAFIKY MBOG”,
artiste afropéenne et influenceuse, Belgique

L’entretien de soi et le développement personnel passe pour un nombre non négligeable de femmes afropéennes, par la spiritualité. Trouver sa voie en tant que femme ayant grandi et/ou évolué dans un milieu afro-chrétien, qui mêle culture patriarcale, mentalité néocoloniale implicant la déformation des perspectives africaines pré-coloniales dans la question de la spiritualité, est un parcours sinueux. Face à la difficulté de remettre en question des aspects qui touchent à la conception du Divin, de la divinité, de ce qui est considéré comme sacré et tabou, et d’accéder à des informations justes au sujet de l’ontologie et de la spiritualité de nos Ascendants africains avant la colonisation, comment rétablir et transmettre aux générations futures d’Afrodescendants issus de la diaspora en Europe ou non, une vision plus juste d’eux-mêmes, maintenir leur attachement et leur curiosité face à la Transcendance, et restaurer leur respect de l’ancestralité, et de leur estime d’eux-mêmes en tant qu’Afrodescendants ? Comment exploiter favorablement l’expérience de la religion coloniale dans une démarche d’émancipation spirituo-religieuse ?
Dans une sphère religieuse dominée par la vision patriarcale, la femme doit prendre sa place dans la transmission, en dehors des thématiques liés au mariage, à son corps vis-à-vis de l’homme (pudeur et sexualité), mais dans une exploration éducative, révélatrice, informatrice de la connaissance « spirituelle », théologique, culturelle, permettant sa libération, sa désaliénation et son équilibre.

« L’afropéenne au carrefour des traditions, désobstruction du croire chrétien, transmission et dépassement » (extrait)
Jeanine MUKAMINEGA,
professeure d’Ancien Testament CARES-FUTP, Bruxelles

« Transmission religieuse et participation des femmes à l’autorité religieuse » peut sembler un bon programme et une belle perspective d’exploration du thème de ce colloque : nommer la condition afropéenne. Or, une fois sa condition nommée, participer à l’autorité religieuse est-ce vraiment là le défi, la tâche, le destin de l’afropéenne ? Le plus pertinent, le plus fécond voire le plus urgent ne serait-il pas plutôt de questionner en profondeur la légitimité des fondements mêmes de cette autorité ? D’où, « désobstruction du croire institutionnel ». A la place d’une revendication de la participation, l’afropéenne ne pourrait-elle pas se tenir dans un nouveau topos, un nouveau lieu, celui d’une frontière entre deux mondes, propice à une refondation du croire institutionnel en l’occurrence chrétien ? Sa transmission concernerait alors ce qu’elle aura inauguré et non des traditions bâties sur des idéologies et des pratiques dont les dommages nous affectent encore en tant qu’humanité. A cette frontière, la notion même d’autorité religieuse, ses fondements et les modalités de la transmission pourraient être repensés.