Axe 5
Figures féminines historiques et légendaires dans l’histoire africaine et des Afriques dans le monde
La construction d’un imaginaire afropéen telle qu’elle s’opère au sein des réseaux associatifs et artistiques, mobilise de nombreuses figures historiques et légendaires reliées à l’Afrique ou aux Afriques dans le monde. Des figures mythiques empruntées au monde biblique ou à la matrice égypto-nubienne, aux personnalités référentielles du panafricanisme éthiopianiste en passant par les célébrités noires de l’Afrique ancienne ou contemporaine, figures de la résistance à la domination coloniale ; toutes font l’objet de multiples constructions et déconstructions symboliques opérées par des virtuoses de l’identité africaine. Le cumul de ces narrations alternatives constitue une grande matrice historique et symbolique multiforme, sur laquelle peuvent se greffer et se construire des identités narratives individuelles.
En s’attachant à des figures féminines de référence : des modèles symboliques mythiques et légendaires, aux femmes historiques marquantes jusqu’aux influenceuses modernes qui inspirent la manière d’être femme afropéenne, on cherchera à identifier les modes d’inspiration et leurs enjeux dans la construction des identités individuelles et collectives.
Les interventions
« Sojourner Truth (1797-1883) : ‘Ne suis-je pas une femme ?’» (extrait)
Corinne LANOIR,
professeure d’Ancien Testament et d’hébreu, IPT Paris
A travers les témoignages dont nous disposons, nous étudions quel(s) récit(s) il est possible de reconstruire du parcours d’une femme née esclave, devenue militante pour l’abolition de l’esclavage, pour les droits civiques et la liberté religieuse, oratrice analphabète pour laquelle peu de sources originales de ses discours sont accessibles. Comment fait-elle entendre sa voix durant sa marche vers la liberté et comment aujourd’hui entendre cette voix sans cesse filtrée par d’autres ? Quel rôle joue son enracinement religieux pour cette prédicatrice itinérante, influencée par le méthodisme qui, désignée comme Isabella Bomfree dans les certificats de propriété de ses maîtres successifs, décide un jour de 1843 de s’appeler Sojourner Truph : « la vérité qui séjourne en moi » ?
« Marie Muilu Kiawanga Nzitani (1880-1959) la construction transnationale d’une “héroïne africaine” : entre engagement religieux et résistance politique » (extrait)
Christel MELI ZOGNING,
chargée de cours – doctorante en sciences religieuses CARES-FUTP, Bruxelles
L’histoire du mouvement kimbanguiste né le 6 avril 1921 au Congo belge, est pour beaucoup retracée sous le prisme principal de son fondateur Simon Kimbangu (1887-1951). Pourtant, selon la tradition kimbanguiste, son épouse Marie Muilu Kiawanga Nzitani aurait pris le relais après l’arrestation et l’emprisonnement à vie de ce dernier, contribuant ainsi pendant 38 ans à l’essor du mouvement.
À cette première construction intra-religieuse de la figure de Marie Muilu est en train de se fixer et de circuler une seconde, très actuelle, dépassant le seul cadre kimbanguiste et menée en majorité par des femmes. A partir des données recueillis dans un terrain ethnographique au sein de deux associations militantes de Bruxelles, cette communication montrera l’agentivité transnationale d’actrices issues d’une constellation de réseaux politiques, juridiques, religieux, socio-culturels, et mobilisées en vue de la reconnaissance internationale de mama Muilu comme « héroïne africaine ». Il est ici question de décrire comment s’opèrent non seulement les jeux de récupération, d’appropriation et la tentative de (re)construction symboliques de cette figure historique, mais aussi le processus de visibilisation mis en place afin d’inspirer un nouvel imaginaire individuel et collectif afro-féminin, mieux une manière émancipatrice d’être femme afropéenne dans un contexte postcolonial.
« Les femmes noires dans l’afrofuturisme : Le retour du féminin sacré » (extrait)
Momi M’BUZE,
auteur de science-fiction, activiste panafricain
La femme est plus qu’un être vivant qu’on doit definir par son sexe et ses sentiments. C’est un être doté d’une raison, d’un mental, d’une psychologique, non pas différente de celle de l’homme complémentaire.
Et cette complémentarité a été bafouée, violée, écrasée, dénudée, rabaissée puis écartée de la conduite des destins des peuples africains ainsi que de leurs communautés extérieures et leurs descendants métissés dans les pays européens.
La Femme Noire est à la base, un être dont les plus anciennes civilisations, en premier celle des africains, a tiré le caractère du sacré, du créateur, le donneur de vie et de vitalité.
Ce Féminin Sacré est à reconnaître mais aussi à laisser s’expandre dans toutes les directions et prendre place là où bon lui semblera afin de recréer la complémentarité avec son alter ego masculin.
La science-fiction est, pas seulement pour les africains et afro-descendants de tout horizon, le seul support et genre littéraire qui redonne à la femme son rôle, sa place, son sacré. Et la particularité de l’ afrofuturisme est qu’il nous incite, nous force presque, à revoir nos fondamentaux de l’histoire généralement enseignée sur l’Afrique et de prêter attention à la Voix des Ancêtres.
C’est une histoire qui nous est comptée, à travers les années, les siècles, les millénaires et qui nous parle. Une voix qui nous dit : « vous souvenez-vous de ce Temps-là, pas si lointain sur l’échelle de la naissance de l’Humanité, où la femme était vue différemment de celle actuelle ? »
Et, à son tour l’Afro futurisme nous défie en nous demandant « seriez-vous capable d’imaginer un futur, pas si éloigné, où les rôles dévolus aux hommes pourront être aisément remplis par des femmes dans la complémentarité la plus anodine ? »
Tel est le pouvoir de l’Afro futurisme, partir de notre passé pour nous construire mentalement un futur autre ou alternatif qui tirera les leçons de notre présent.
« Le parcours et la pensée d’Oshadi Phakathi Mangena (1933-2015) en contexte néerlandais, 1977-1995. » (extrait)
Pamela OHENE-NYAKO,
assistante au département d’Histoire,
Université de Genève
Cette intervention porte sur le parcours associatif et la production intellectuelle en contexte néerlandais de la sud-africaine Oshadi Phakathi Mangena (1933-2015). Suivant une approche biographique et transnationale, je m’intéresse à comprendre les évolutions personnelles, institutionnelles, religieuses et internationales qui ont participé à l’émergence d’une pensée intersectionnelle particulière, marquée à la fois par le contexte de l’Afrique du Sud dans lequel elle est née, que par l’Europe, et en particulier les Pays-Bas, où elle a résidé en tant qu’exilée politique de 1977 à la fin des années 1990. Bien qu’il n’apparaisse pas que Mangena se soit identifiée comme afro-européenne, il demeure intéressant de se pencher sur la manière dont elle a co-analysé et co-articulé les conditions de vie et d’émancipation des personnes afrodescendantes aux Pays-Bas et en Europe de l’Ouest plus généralement durant les décennies 1980-1990.